Le jour de Rabii

Ma cousine est grosse

L’humour décadent comme mode d’expression, un regard de biais sur les travers des uns et des autres, une grille d’analyse décoiffante. Hé oui ! C’est dimanche aujourd’hui, le jour de Rabii.

Ma cousine est grosse. Grosse et le fun.

Du genre à ne pas hésiter une seconde avant de répondre par l’affirmative à un extra fromage. Et quand on a rien sur quoi mettre ledit extra fromage, on mange du fromage tout court.

Un jour, on n’arrivait pas à se décider sur quoi commander, alors on a dévoré à deux une brique râpée de Petit Québec marbré. Sur rien, dans rien ; juste avec nos mains.

Ma grosse cousine a confiance en elle. Pas le genre de confiance criarde, une confiance silencieuse.

On a décidé un jour que la confiance, c’est comme un pet, ça ne se voit pas ; ça se sent. Et son pet de confiance sent fort.

Ma grosse cousine n’a jamais eu de problème avec les hommes. Elle est mariée et a un bébé adorable.

Elle a toujours dit qu’on a tous quelque chose d’intéressant, mais souvent, ce qui manque, c’est juste quelqu’un d’intéressé.

Ma grosse cousine a aussi un gros sens de l’humour, elle dit que si elle grossit encore, elle achètera de plus grands vêtements, comme ça, ça paraîtra pas.

Elle n’a jamais été mince, elle n’a non plus jamais été plus ou moins grosse. Elle a toujours été juste grosse.

Ma grosse cousine a un bon cardio ; elle court avec son chien, elle fait de la boxe et l’été dernier, elle a sauté en parachute.

Pas que ça change quoi que ce soit à ton poids de sauter en parachute, mais ça montre que t’es quand même game. J’avais refusé d’y aller en feignant une grippe. Je n’étais pas grippé, je suis juste un peureux.

Aussi, elle a fait la blague du parachute qui serait inefficace sous (ou plutôt sur) son poids avant même que je ne pense la faire.

J’y avais pensé, mais je ne l’avais pas faite. En partie parce qu’y a toujours des limites à la moquerie, mais surtout parce que les blagues de gros, tu fais vite le tour (t’as vu ce que je viens de faire ?).

Je digresse.

Tout ça pour dire que ma cousine est en santé. Elle vit très bien avec son poids. Et je ne dis pas surplus de poids, car ce n’est pas un surplus, c’est son poids tout court. C’est son poids, point.

J’ai menti ; elle vit bien avec son poids 334 jours par année. Il y a 31 jours où elle aimerait y changer quelque chose.

Du 1er au 31 janvier de pas mal chaque année, elle suit la parade et s’engage solennellement à se résolutionner la panse.

Elle sait que ça ne durera pas, parce qu’elle est bien comme ça. Elle ne le sait juste pas encore à 100 %. Chaque fois, elle se dit « d’un coup que ». D’un coup que ça marche ; d’un coup qu’elle devienne plus mince.

D’un coup qu’elle n’ait plus à devoir convaincre les sceptiques qu’elle est bien, que son poids est parfait.

On est tous un peu « d’un coup que ». T’ignores l’appel de celle que t’as, d’un coup que celle qui ne veut rien savoir réponde à ton texto. Puis, tu t’endors sur Netflix.

« D’un coup que », c’est la carotte au bout du bâton. C’est le potentiel.

Et c’est dur des fois de s’aimer pour ce qu’on est quand tout le monde nous vend notre potentiel.

Et juste notre potentiel : sur le panneau d’autoroute, la pub d’esthétique dentaire ne te dit pas : « Viens si tu veux vraiment que ce soit parfait, mais t’es sûrement parfaitement correct de même, fait que reste chez vous, si tu veux. »

Elle te dit impérativement : « T’es laitte, viens qu’on te mette ça beau. » Souvent avec des photos pré-parfait-post-laitte.

Même mes cadeaux, je les aime pour ce qu’ils pourraient potentiellement être. Je le confesse ; quand je reçois une belle bouteille, je suis heureux, mais je mets l’excitation sur hold le temps d’aller dénicher sur internet la fiche SAQ qui va me stouler son prix.

Sur Facebook, c’est notre potentiel qu’on montre. Tu publies pas la photo du soir où t’as dompé une canne de thon dans un sac de Bistro Express en écoutant la saison 1 de Sex and the City.

Au cas où tu te posais la question ; oui, je fais ça.

Sur Facebook, t’as le fatigant qui s’est découvert une obsession pour le gym ya six mois et qui documente en temps quasi réel l’expansion de son territoire musculaire.

Ses deux hobbies sont « escalade » et « être dur ».

Il accompagne ses photos de citations en majuscules du genre : « LA DOULEUR PENDANT L’ENTRAÎNEMENT, C’EST LA FAIBLESSE QUI QUITTE TON CORPS. »

Non, mon chum, c’est de l’acide lactique, ça.

Tu vois ça, ma cousine voit ça, on voit tous ça et on se dit : « Potentiellement, ça pourrait être moi. »

Et même si ça te rend heureux de passer à travers un sac de Tostitos une fois de temps en temps, tu commences à t’aimer pour autre chose. Parce que, apparemment, c’est pas supposé te rendre heureux.

Apparemment, t’es pas supposé être heureux gros. T’es pas supposé de t’en contenter.

Ya pas une pancarte d’autoroute qui affiche : « Fuck le gym et vive la béchamel. »

L’un n’empêche pas l’autre ; tout en modération, tu me diras. Tu as raison.

Je digresse encore.

Cette année, ma cousine n’a pas pris de résolution de poids. Pas de détox. Pas de régime. Pas de grosse machine en métal qui va finir par servir d’étendoir à vêtements-qui-vont-pas-dans-la- sécheuse.

Moi non plus. Pas de résolution. Ça va être ça, ma résolution.

Faire du rafting dans les vagues folles de la dichotomie qu’il y a entre contentement et stagnation.

On est rendu à 950 mots. Pour un potentiel viral optimal, on arrête normalement le texte autour de 600 mots.

Mais c’est pas grave ; ça me tentait de te parler pendant mille mots, quitte à ce que, potentiellement, tu te rendes pas.

Je l’aime, cette non-résolution. J’y vois un immense potentiel. Mille mots, au revoir.

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